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LES TEXTES

Je ne sais pas dessiner 

Ni peindre 

Je sais écrire 

Alors je dessine avec mes mots

Parce qu’il y a quelque chose que je dois sortir de moi et faire savoir « au monde »

Je ne sais pas raconter des histoires 

Alors j’écris mon ressenti 

J’ouvre l’intérieur de moi

Ce qui m’habite ou me traverse

Et ça donne ça

Cet entremêlement de mots écrits au feutre sur le support que je trouve 

Je colle des photos sur du carton 

J’aime le carton: on en trouve toujours 

J’aime la transparence du verre ou du plexiglass

C’est la vérité nue en recto verso

L’image a son importance pour ce qu’elle fixe du moment que je veux retenir 

Mythologie personnelle mais sentiments universels 

Une histoire du deuil & et autres fragments

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UNE HISTOIRE DU DEUIL

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Mon père est mort dans son sommeil, dans son lit, dans sa maison en Algérie.

 

C’était le début du mois d’août.

 

Quand on m’a prévenue, le lendemain soir.

 

Il était déjà enterré.

 

Mon père habitait dans un tout petit appartement lorsqu’il venait en France.

 

Je ne l’avais pas vu depuis deux ans.

 

Parce que je lui faisais la gueule.

 

Parce que ma mère, je l’ai compris un an plus tard, m’avait empêché de l’aimer.

 

Me faisant croire que mes blessures profondes.

 

Étaient dûes à un « père absent ».

 

Alors qu’il n’a cessé, sa vie entière d’essayer d’être présent.

 

A la fin du mois d’août, je suis allée voir son frère, qui vit à Lyon.

 

J’ai dû le supplier de lui laisser m’occuper de nettoyer et vider ce petit appartement.

 

J’ai bien crû qu’il n’allait pas me laisser faire.

 

J’ai eu les clés de mon père.

 

Et pendant quelques jours que j’aurais aimé bien plus longs, je suis restée chez mon père.

Je n y étais jamais entrée.

 

J’ai découvert son petit univers. D’immigré. Sans argent.

 

J’ai tout nettoyé. J’ai photographié ce qu’il avait laissé là. Ce qui lui appartenait.

 

Je ne voulais rien jeter.

 

Mon mari est venu me chercher. J’avais tout gardé dans des grands sacs. Tout. 

 

Et puis, de retour chez moi, sachant mes jours comptés avant de devoir rendre cet appartement.

J’ai voulu y retourner.

 

Alors, en pleine nuit. J’ai pris un taxi pour aller dormir chez mon père. C’était la première et unique fois de ma vie où j’ai dormi chez mon père.

 

Voilà mon héritage.

 

Voilà ses objets, mes précieux.

 

Ce qu’il me reste de sa vie en France. Des ses passages.

 

Je me dis qu’il avait laissé tout ça pour moi.

 

Une bouteille de parfum vide bon marché.

 

Une boite à savon sans couvercle.

 

Une table de nuit en contreplaqué.

 

Et puis sa veste.

 

Une veste que je trouve très belle.

 

Que j’ai respiré longtemps jusqu’à ce qu’elle ne sente plus son odeur.

 

Comment « enfermer » les odeurs ?

 

Voilà les restes de la vie d’un homme qui avait deux pays sans en avoir aucun.

 

Et que j’ai rejeté toute ma vie.

 

Voilà mon père.

 

Voilà la vie. Cruelle. Cruelle.

 

Et pourtant. Belle.

 

Parce qu’un jour, j’ai compris que cet homme m’aimait.

 

Et que j’aimais cet homme.

 

Et que l’on peut aimer les morts. 

 

Pour le reste de sa vie.

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